Qu’est-ce que l’Art Brut ?

Publié le 30 Mai 2024

Insaisissable, protéiforme, intemporel, universel… Difficile de dessiner les contours de la forme d’art la plus atypique qui soit, l’Art Brut. D’abord théorisé par Jean Dubuffet, cet univers créatif hors des sentiers battus s’est finalement vu dérouler le tapis rouge sur le marché de l’art. De “l’art des fous” aux institutions culturelles, suivez-nous pour un tour d’horizon de l’Art Brut !

Aux origines de l’Art Brut

Le concept d’Art Brut a originellement été pensé par l’artiste français Jean Dubuffet. Tout débute autour de 1945, alors qu’il se constitue une collection d'œuvres réalisées par des personnes en hôpital psychiatrique ou en prison. L’originalité de l’Art Brut réside dès ses prémices dans la nature marginale, ou marginalisée, de ses créateurs·rices. L’Art Brut mêle alors d’une part une spécificité sociologique et d’une autre part une singularité esthétique

Portrait de Jean Dubuffet (1901-1985) et ses oeuvres

La définition de l’Art Brut de Jean Dubuffet, telle qu’écrite dans L’Art Brut préféré aux arts culturels en 1949 était la suivante :

« Nous entendons par là [Art Brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe ».


Ainsi, selon Jean Dubuffet, les fondements de l’Art Brut sont une création autodidacte, une absence d’académisme et une spontanéité totale. Les artistes créent sous l’impulsion d’une injonction intime forte, et s’extraient du poids du regard critique.

Leur caractère “brut” s’oppose donc à la nature cultivée, intellectuelle, de l’art traditionnel et du carcan occidental. Les sujets abordés (la mort, la sexualité, la folie…)  et les médiums utilisés (déchets, tissus, os…) sont novateurs, parfois involontairement provocateurs.

Aloïse Corbaz, Napoléon III à Cherbourg, entre 1952 et 1954

Ces personnes marginales puisent leur inspiration dans une psyché atypique. C’est pourquoi on retrouve de nombreuses occurrences d’Art Brut dans les hôpitaux psychiatriques (art asilaire) ou les personnes à fortes croyances spirituelles (at médiumnique). 

Jusqu’alors sous-estimé par les têtes pensantes de l’art, l’Art Brut a trouvé ses lettres de noblesse grâce à l’intérêt porté par Jean Dubuffet à cette forme d’art. Au cours de ses pérégrinations, il s’est constitué une importante collection d'œuvres regroupées au sein de la Collection de l’art brut à Lausanne, en Suisse.

Parmi ses représentant·e·s les plus célèbres figurent Adolf Wölfli, Augustin Lesage, Jeanne Tripier, Aloïse Corbaz, Henry Darger, Madge Gill, Martín Ramírez, Carlo Zinelli, Scottie Wilson, Judith Scott...

Judith Scott, Sans titre (objets de récupération et tissage)

Comment reconnaître l’art brut aujourd’hui ? 

 

Qu’en est-il aujourd’hui ? Depuis 1945, l’Art Brut a connu une véritable mutation. Des marges invisibles à la médiatisation, l’Art Brut a croqué dans la pomme du succès. Pour son bien ou son mal, les avis divergent.

Si les limites de l’Art Brut ont toujours été difficiles à définir, elles ont sans aucun doute connu une grande expansion ces dernières années. L’Art Brut a investi les institutions culturelles, et possède même son lieu d’exposition à Paris, la Halle Saint Pierre, ou encore à Villeneuve d’Ascq au LaM. Il intègre les grandes collections du MoMa, du Centre Pompidou ou de la Tate Modern. Dubuffet lui-même, en tant qu’occidental intellectuel, ne pouvait prétendre entrer dans la définition de l’Art Brut qu’il a lui-même pensé, bien qu’il ait tenté de se “déformater” tout au long de sa vie. 


Désormais, cette forme d’art qui se voulait anti-culturelle selon Dubuffet comprend des artistes issus des beaux arts et autres cursus académiques traditionnels. Des chercheur·se·s universitaires décortiquent le sujet en tant que Collectif de réflexion autour de l’art brut

Séraphine Louis, dite de Senlis, L’Arbre de paradis, 1930

Est-ce à dire que l’Art Brut n’est plus qu’une esthétique et non pas un mode de création à part entière ? D’une part, la possibilité de s’auto-adouber artiste d’Art Brut permet de se réapproprier le courant, et non plus d’en être dépossédé et étiqueté par les intellectuel·le·s de l’art. D’autre part, l’explosion de la cote de l’Art Brut lui fait perdre de sa substance originelle, qui est tout sauf mercantile et intentionnelle.

Finalement, l’essentiel pour ces artistes est de conserver une pleine liberté, une jouissance de leur pouvoir créateur en se détachant de la critique. Est brut tout artiste qui s'affranchit du regard d’autrui. Il s’agit de créer par besoin impérieux, sans respecter les codes établis, que ce soit dans un asile psychiatrique ou à la sortie des beaux arts. Si le premier peut être véritablement considéré comme artiste brut, le second entrera dans la nouvelle famille incluse par le mouvement, qualifiée de Neuve Invention. La Neuve Invention est similaire à l’art brut, la conscience créatrice en plus.

Quelques artistes phares issu·e·s du mouvement de Neuve Invention à connaître : Gaston Chaissac, Michel Nedjar, Seraphine Louis (Séraphine de Senlis), Emile Ratier, Aloïse Corbaz, Madge Gill, Francisco Goya, Michel Macréau, Francis Palanc, Eugène Gabritschevsky…

Paul Amar, Miss Univers (oeuvre en coquillages)

Il ne serait pas non plus pertinent de parler d’art brut contemporain, en opposition à un art brut passé, car l’art brut est universel et atemporel. La mutation à laquelle l’art brut est soumis aujourd’hui permet un décloisonnement plus inclusif, elle permet de sortir de l’impasse d’un art qui s’ignore. Surtout, l’enfermer serait le figer dans des dogmes, et n’est-ce pas là tout sauf la nature de l’art brut ? 

 

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Cover © Victor Simon, La Toile égyptienne, 1941